Bref historique

La Bonaventure, une histoire d’amour qui se poursuit…

La Bonaventure, rivière aux eaux cristallines, couleur de jade, prend sa source en plein cœur de la Gaspésie dans les Chic-Chocs. De là, elle parcourt une distance de 125 kilomètres pour se rendre à la mer près du village du même nom.

Les Micmacs l’avaient nommée Wagamet, ce qui veut dire eau claire. C’est en mère nourricière qu’elle a accueilli les premiers Acadiens fuyant la déportation dès 1760, année où la paroisse de Bonaventure fût fondée.

Depuis ce temps, comme elle l’avait fait pendant des siècles pour les quelques familles d’amérindiens vivant à son embouchure, elle n’a cessé de nourrir les premiers habitants qui se sont installés sur le bord de ses rives.

À cette époque et jusqu’à la fin du 19e siècle, seule une pêche de subsistance était pratiquée sur cette rivière. Au moyen d’une fouine et d’un flambeau fait d’écorce de bouleaux, bien installés dans leur pirogue, les premiers habitants de Bonaventure allaient la nuit chercher leur saumon pour l’hiver qu’ils salaient dans de grands barils. Au printemps, à la fin du mois de mai, juste avant les premières montaisons de saumons, c’est l’éperlan que l’on allait cueillir avec abondance au moyen de puises. On le salait, le fumait, le séchait de façon à ce qu’il se conserve le plus longtemps possible.

Ainsi, depuis ces jours anciens jusqu’à aujourd’hui, au rythme des saisons et surtout des étés qui ramenaient immanquablement quantités de saumons dans cette rivière et faisaient se répéter des gestes devenus depuis coutume, des noms se sont gravés tout au long de son parcours : Élide Poirier, Ned Sinclair, Lorenzo Poirier, Félix et Donat Arsenault, Narcis Miousse, Honoré St-Onge, Gimmy Thozer, Simon Poirier et bien d’autres. Autant de noms qui résonnent encore aujourd’hui dans la tête de ceux qui vivent près de cette rivière depuis nombre d’années. Ces maîtres-guides, gardiens, gérants de clubs étaient des hommes de rivière; ils en vivaient comme on vit de l’air qu’on respire.

C’est en 1883 que tout a commencé en ce qui concerne la pêche sportive au saumon sur la Bonaventure. C’est le premier juin de cette année-là, que fut fondé le premier club de pêche : le Bonaventure Salmon Club. Au début des années 1900, les frères Livernois de Québec, bien connus dans le domaine de la photographie et de la pharmaceutique, achetèrent une bonne partie des droits de pêche sur le territoire situé en aval de celui occupé par le club pour créer à leur tour, une zone privé de pêche au saumon.

Avec l’avènement de ces clubs de pêche, une tradition de guides et de bâtisseurs de canots s’est peu à peu implantée aux abords de cette rivière. Félix Arsenault, cultivateur et menuisier de son métier, était de ces premiers guides qui, avec quelques Micmacs, conduisaient les « sports »  sur les lieux de pêche.

Après quelques années d’expérience sur la rivière, Félix Arsenault s’est mis dans la tête de concevoir un canot léger, facile à manœuvrer dans le courant et d’une grande stabilité. C’est alors qu’à la fin des années 1880, mariant le profil allongé des canots de tremble à trois bordés ( construits par des fabricants de Gaspé) au gabarit bien moulé des chaloupes de mer, il conçut un canot de cèdre à cinq bordés qui a depuis, traversé le vingtième siècle puisqu’on le retrouve encore aujourd’hui sur la Bonaventure et quelques autres rivières de la Gaspésie. Dans ses meilleures années, ce canot occupa une place de choix comme outil de navigation sur les rivières gaspésiennes et de la côte nord. Certains de ces canots furent même expédiés dans l’état de New-York. De père en fils donc, cette tradition de «maître-canot», de maître-constructeur de canots s’est maintenu jusqu’au début des années 2000.(Le dernier fut construit en 2004).

La Bonaventure a toujours été une rivière généreuse, mais il y eut des années où elle le fut plus particulièrement. Ainsi, le 23 juin 1924,  six pêcheurs capturèrent soixante et quatre saumons. Un certain Geo McAvity, guidé par Félix et Donat Arsenault, en captura quatorze à lui seul.  C’est d’ailleurs cette année-là, voyant l’abondance de saumons, que l’on fixa la première limite journalière à huit prises.(À l’époque, les limites de prises journalières étaient fixées par les membres des clubs et non comme aujourd’hui par une réglementation gouvernementale.)

Cette même année, deux autres clubs de pêche virent le jour sur la Bonaventure, soit le Canadien Salmon Club fondé par monsieur John Hall Kelly, avocat bien connu de New Carlisle et homme politique de l’époque ainsi que le Kirby’s Club, propriété d’une compagnie de charbon et d’huile américaine, la Pittown Coal Company.

Contrairement à la croyance populaire , il n’y avait pas que des Américains qui avaient des droits exclusifs de pêche sur la Bonaventure. Les membres et invités du Bonaventure et du Canadien Salmon Club provenaient principalement du Canada anglais, surtout de Montréal pour le premier et de Toronto pour le second. En plus des Livernois qui venaient de Québec.

Ces clubs embauchaient un peu plus d’une trentaine de guides, une quinzaine de gardiens en plus des cuisiniers et cuisinières ainsi que des préposés à l’entretien. Pour ces personnes qui vivaient de la rivière, voir venir la fin du mois de mai avec les bâtiments à réparer, les canots à préparer, tout à mettre en place pour le début de la pêche, c’était comme une renaissance. Prendre contact avec les odeurs de trembles et d’épinettes mêlées à celles de la rivière fraîche et accueillante, entendre le bruit des rapides par les douces matinées de juin et de juillet… encore une fois; cela faisait sur ces personnes l’effet d’un médicament à nul autre pareil.

Oui, il y en avait du saumon. Pendant plusieurs étés, on prenait tellement de saumons qu’on devait en distribuer chez les gens du voisinage, cela, en plus des prises qui étaient données aux guides. Paraît-il que c’est par centaines qu’on les comptait dans certaines fosses à partir de juillet. C’est le cinq de ce mois en 1941, qu’un certain Arthur Purvis, guidé par messieurs Donat Arsenault et Lorenzo Poirier, prit sa limite de six saumons (dont un pesait 33 livres) en deux heures et demie à la fosse Deep Water Ledge. À dix heures trente, le dernier saumon était dans le canot. Après cette pêche « miraculeuse », nos deux valeureux guides, le canot chargé de ces saumons et de leur « sport », se sont rendus jusqu’à la fosse Luna à dix kilomètres en amont, question de lui faire visiter la rivière. Il faut savoir qu’à cette époque, on propulsait les canots à la pôle. Les moteurs n’ont fait leur apparition qu’au début des années cinquante.

«On aimait ça pôler», de nous dire Lorenzo Poirier, un brin d’émotion dans la voix.  Oui, ils aimaient ça «pôler». Il fallait les voir monter les rapides tels le Malin ou le Cheval Blanc. Avec le geste ferme des mains marchant sur la «pôle», les jambes bien campées au fond du canot,   ces hommes et leur embarcation ne faisaient qu’un avec la rivière.

Des saumons, il y en avait beaucoup et aussi des gros. À la fin du 19e siècle, le poids moyen des prises dépassait les quinze livres. Cette moyenne a cependant chuté pour se stabiliser depuis plusieurs années aux environs de onze livres. C’est en 1951, le 25 juin, que le plus gros saumon enregistré sur la Bonaventure fut capturé à la fosse Red Pine. Il pesait quarante-huit livres. C’est monsieur Walter Molson, guidé par messieurs Émile Arsenault et Thomas Poirier qui fut l’heureux détenteur de ce record (qui persiste toujours aujourd’hui).

Et les années passèrent sans que rien ne vienne perturber cette tranquillité acquise par les clubs privés au fil des années. Sauf, peut-être, quelques débâcles de printemps qui venaient à l’occasion secouer les bâtiments du Bonaventure Salmon Club, ces derniers étant situés sur un terrain inondable.

Cependant, au fil des années 60 et 70, avec l’avènement d’une société laissant beaucoup plus de place aux loisirs, de plus en plus de gens voulaient profiter de cette richesse qui, jusqu’à lors, avait été réservée à quelques riches personnes venant d’ailleurs. C’est alors qu’en 1977, quelques personnes de Bonaventure ont créé l’Association des Pêcheurs Sportifs de la Bonaventure dont l’objectif premier était de donner accès à la population dans son ensemble, à la pêche au saumon sur cette rivière.

C’est ainsi qu’après des pourparlers avec les dirigeants du Bonaventure Salmon Club, une première fosse fut ouverte au grand public en 1978(la Green) et l’année suivante, au mois d’août, ce fut les secteurs A et B actuels qui devinrent disponibles aux pêcheurs sportifs.

Lors du printemps 1979, les glaces se sont mises de la partie et ont emporté toutes les installations du Bonaventure Salmon Club ne laissant aucune infrastructure utilisable à ses membres.

C’est à l’été 1980, avec l’avènement de la loi des Zec Saumon(zones d’exploitation contrôlée) que fut créé la Zec le la rivière Bonaventure qui comprenait alors trois secteurs de pêche dont un était contingenté. (Nous en comptons maintenant huit, dont cinq sont contingentés.).

Au Bonaventure Salmon Club, ses membres conclurent une entente avec ceux du Canadian leur permettant de partager leur territoire et leurs installations. Ainsi, ces deux clubs ont conservé certains de leurs privilèges et occupent encore aujourd’hui une zone longue de cinq kilomètres sur un territoire de pêche en totalisant soixante et quatre. Cela, en vertu d’un protocole d’entente convenu après négociation aux cinq ans avec l’Association des Pêcheurs Sportifs de la Bonaventure qui est l’organisme mandaté par le gouvernement du Québec afin de voir à la bonne gestion de la Zec.

Le Kirby’s Club, pour sa part, fut déménagé avec des parties de ses installations (on démantela la maison principale)  sur la rivière Miramichi au Nouveau-Brunswick.

Depuis quelques années, le Camp Bonaventure, une pourvoirie offrant service d’hébergement et de guidage pour la pêche au saumon occupe une place importante comme partenaire et client de l’association.

De la création de la Zec saumon  à aujourd’hui, l’Association des Pêcheurs Sportifs de la Bonaventure s’est avérée un gestionnaire d’une grande compétence. En effet, grâce aux efforts de promotion et beaucoup à cause de la grande qualité de cette rivière, le nombre de pêcheurs s’est accru d’année en année, l’effort de pêche saisonnier passant de 1500 à plus de 5000 jours. Le nombre de saumons, soutenu par une saine gestion des stocks, s’est longtemps maintenu à un niveau fort acceptable, la quantité de géniteurs dénombrés sur les frayères à l’automne dépassant parfois les 2000, cela après des captures dont le nombre atteignait jusqu’à mille deux cents saumons dans les meilleures années.

Cependant, depuis cinq ans, le nombre de saumons a suivi une tendance à la baisse (cette tendance affecte le saumon de l’Atlantique dans son ensemble), ce qui, à l’été 2008, a conduit le ministère de la Faune du Québec sous l’impulsion des gestionnaires et des pêcheurs, à décréter la remise à l’eau obligatoire des grands saumons sur toute la rivière, cela afin de permettre une remontée du nombre de géniteurs.

Aussi, depuis les quinze dernières années, le nombre d’utilisateurs de la rivière a cru considérablement. En plus des pêcheurs, des canotiers, kayakistes, baigneurs ont découvert ce trésor qu’est la rivière Bonaventure. Sous la coordination du Conseil de Bassin Versant de la Bonaventure, une table de concertation des utilisateurs de la rivière s’est formée afin de voir à la bonne cohabitation, ce qui permet aujourd’hui à un nombre considérable de personnes de profiter des beautés de cette rivière.

En somme, d’hier à aujourd’hui, la Bonaventure n’a cessé de tenir ses promesses : celle d’abord d’un séjour enchanteur et fructueux à bien des égards; mais surtout, et avec le concours de chacun, promesse d’être pour très longtemps encore, l’un des plus beaux joyaux de notre patrimoine collectif.

Robert Arsenault, Rivière Bonaventure

Mars 2010

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